Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Recherche

Archives

9 juin 2012 6 09 /06 /juin /2012 09:39

« Madame », c’est ce vocable, – jusque là réservé aux femmes du frère du roi, dit « Monsieur », ou à ses filles – qu’on utilisa pour la nommer parce qu’elle fut épouse, puis mère, puis grand-mère de l’héritier légitime de la couronne de France et qu’on ne pouvait, faute que celui-ci occupât son trône, dire « la reine » ou « la reine mère »,

Née à Rome le 8 novembre 1913, Emmanuelle de Dampierre (également prénommée Victoire-Jeanne-Joséphine-Pierre-Marie) appartenait à l’une des plus vieilles familles françaises, originaire de Picardie depuis le début du XIIIe siècle. Le château de Dampierre, aujourd’hui dans les Yvelines, fut édifié entre 1682 et 1688 par Charles-Albert de Luynes, duc de Chevreuse, dont un ancêtre avait hérité de la seigneurie du nom.

Aymar, marquis de Dampierre, avait été fait pair de France par Charles X en 1827. Roger, père d’Emmanuelle, était colonel dans l’armée française et duc pontifical de San Lorenzo, consécutivement aux services rendus par son propre père, Louis-Henri, auprès du pape Léon XIII, ce légitimiste qui, plus tard, se rallierait (malencontreusement ?) à la République.

Sa mère, Vittoria Ruspoli, était d’ailleurs Italienne, appartenant à la lignée des princes de Poggio-Suasa et de Cerveteri. Le père de celle-ci avait été maire de Rome. France, Europe et Saint-Empire déjà liés.

En février 1934, Jacques-Henri de Bourbon - en espagnol Don Jaime -, fils aîné d’Alphonse XIII d’Espagne, exilé à Rome, rencontra Emmanuelle lors d’un bal auquel les avaient conviés le roi et la reine d’Italie. Le prince, né en 1908, était ce qu’on appelle « un très bel homme », mais affecté d’un handicap qui servirait de motif, ou de prétexte, à son éviction de droit au trône d’Espagne. Il était sourd-muet et, ballotté dans les tourbillons de la laborieuse succession des reyes católicos, ignorant à peu près tout de ses droits éventuels à celle de France.

Ce n’est qu’en août 1944, au moment même où Paris fêtait sa Libération, soit presque dix ans après leur mariage, qu’Emmanuelle apprit, de la bouche d’un voisin de compartiment de train suisse, un érudit rencontré par hasard, le statut de son mari vis-à-vis de la couronne de France. Ses relations avec Jacques-Henri s’étaient alors beaucoup dégradées et la perspective d’un divorce, prononcé en 1947, se dessinait déjà.

Le fils aîné d’Alphonse XIII mit dix-huit mois à méditer ce que son épouse venait de lui apprendre. Après quoi, en février 1946, dans un grand geste de solennité fruit de sa pleine prise de conscience, il adressa une circulaire aux familles royales d’Europe, par laquelle il rappelait sa qualité de chef de la Maison de Bourbon, affirmait son droit au trône de France et celui de porter le titre de duc d’Anjou comme d’arborer les pleines armes de son royaume, « d’azur à trois fleurs de lys. »

Dès lors, la légitimité reprit des couleurs en France. Un peu comme le commissaire Antoine Bourrel à la fin de chaque épisode des Cinq dernières minutes, émission alors très populaire à la télévision française, on se prit à déclarer, à propos de la succession dynastique : « bon sang, mais c’est bien sûr ! » La piste orléaniste, à laquelle s’était rattachée, faute de mieux, la grande majorité des royalistes, s’avérait une fausse piste, que des enquêteurs trop zélés ou trop peu sourcilleux, notamment sous le joug intellectuel de Charles Maurras et de l’Action française, avait adoptée inconsidérément.

Ainsi Emmanuelle rendit-elle à la monarchie française la colonne vertébrale qui lui manquait depuis plus de cinquante ans. Pleinement habitée par son rôle, elle transmit à ses deux fils, Alphonse, né en 1936, et Gonzalve, né l’année suivante, la connaissance de leur rang et de leurs devoirs. Plus jamais la vocation royale ne quitterait la Maison de Bourbon, enfin remise sur ses pieds. Emmanuelle naviguait désormais dans l’histoire de France comme un marin expérimenté sur un vaisseau de hauts bords. Je me souviens de l’avoir accompagnée, il y a quelques années, à la visite de la superbe exposition consacrée, au château de Sceaux, aux souvenirs de la duchesse de Berry. Aux côtés de son petit-fils et de sa belle-fille, elle commentait tableaux, portraits et documents avec un jugement très sûr, portant sur les hommes comme sur les évènements des appréciations que n’aurait pas reniées le comte de Chambord…

Lorsque le prince Louis perdit son père, en 1989, et que sa mère vivait déjà loin de lui, Emmanuelle veilla étroitement à son éducation, en étroite liaison avec les grands-parents maternels du prince, le marquis et la marquise de Villaverde, et avec l’ancien secrétaire de son père, le baron d’Alacuás.

Bien que résidant à Rome, elle se rendait très régulièrement en France où elle pouvait compter sur l’indéfectible et presque légendaire fidélité de son « gentilhomme de service », le comte Gilles de Kerangal. Femme élégante, digne, déterminée – jusque dans ses goûts qu’il eût été bien mal venu de contrarier –, possédant au plus haut degré le sens des responsabilités familiales, cuirassée contre les avatars de la vie, qui ne l’avait guère épargnée, Emmanuelle illustrait à merveille l’adage breton selon lequel « il n’existe que deux choses hors de la toute puissance de Dieu : un vieil arbre et un gentilhomme. »

Madame aura donc su, par son exemple, donner un genre féminin à ce mot. Elle savait conquérir les cœurs. Puisse son souvenir solidifier nos âmes !

Partager cet article
Repost0

commentaires